LENS, Marian : Evolution historique du mouvement lesbien en Flandre à partir des années 70, in : Chronique Féministe (Université des femmes), Féminismes et lesbianismes, n°103-104, juillet/décembre 2009.
Le propos de cet article est de donner un aperçu analytique des groupes lesbiens, des coalitions et des événements-clés qui ont permis l’éclosion d’un mouvement lesbien en Flandres, et qui éclairent son évolution des années 70 à aujourd’hui[1].
Quelques points de similitudes et de différences entre les mouvements lesbiens en Flandres et dans la partie francophone du pays vont aussi être développées. Ils permettront de mieux comprendre pourquoi les mouvements respectifs ont évolué différemment dans les deux communautés belges.
La conclusion donnera des pistes de réflexion pour le futur et pour une alliance ou une cohabitation avec d’autres mouvements de pensée.
I. L’émergence des groupes lesbiens autonomes en Flandres
Quels sont les faits (événements) et les motifs évoqués par les groupes concernés qui nous permettent de comprendre l’évolution du mouvement lesbien flamand ?
A partir de la fin des années 60, des groupes lesbiens autonomes vont apparaître un peu partout dans le monde. Ils éclosent des grands mouvements de remise en question de la société[2], et en raison de la place difficile que les lesbiennes y occupent.
En Flandres, c’est à la fin de l’année 1974, que le « 1er groupe lesbien autonome » se crée, Sappho (1974 – 81 ; Gand), c’est-à-dire une entité qui « se profile clairement comme lesbienne », indépendante par rapport aux groupes de femmes et aux groupes homosexuels[3].
Une dizaine de groupes suivront, de la fin des années 70 au milieu des années 80 :
Liever Heks (1978 – 79), Liever Eva (1978 – 79 ; Brussel), Turnhoutse Lesbische Vrouwen (1978 – 81), Mytilene (1978 – 81 ; Lomme), Catal Hüyük (1980 – 82), Paarse Peperpot (1983 – 88 ; Bruxelles), Lesbische Vrouwen Brussel.
Leur moyenne de vie sera relativement courte1, de 2 à 5 ans, à l’exception d’Atthis (1978- ; Anvers) encore en activité à ce jour et qui est de ce fait la plus ancienne association lesbienne de Flandres, de Timas (1979 – ; Bruges) et de Linea Rosa (1984 – 93 ; Gand).
L’année 1985 et la décennie qui suivra, verront l’apparition d’une nouvelle vague de groupes lesbiens :
Chatterbox (Anvers), Artemys (1985 – 2002 ; Bruxelles), Lesbies Doe Front (1985 – 98 ; Gand), VrouwenOntmoetingsRuimte (Gand), Lesbisch Archiev (Gand), Dames Kaffee (1993 – ; Turnhout), Lesbisch Kunst Salon (1993 – ; Gand), Heus Poteus, Impuls (Aarschot) ;
une grande partie sont encore en activité : Labyrint (1988- ; Louvain), Lilev (1989- ; Hasselt), Gehuwde Gescheiden Lesbiennes (Anvers), Aksent Op Roze (1991- ; Gand), Goudou (1991- ; Bruges), Halle Lesbienne (1992- ), Moïra (1995- ; Roulers), De Nymfen (Courtrai), Vieux Rose.
En raison de la récession économique et du backlash[4] qu’elle entraîne sur le monde démocratique en général, les mouvements féministe et homosexuel traversent une crise, et connaissent défections et conflits multiples. Les tendances réactionnaires de ces mouvements se renforcent, et s’expriment notamment par une exacerbation de la lesbophobie chez les premières et du machisme chez les seconds. Minimisées ou rejetées, de nombreuses lesbiennes vont prendre des distances avec ces mouvements ou les quitter.
La persistance des difficultés rencontrées avec ces mouvements va augmenter considérablement la longévité des groupes lesbiens autonomes, ainsi que leur taille, et faire que la plupart d’entre eux existent encore à ce jour.
Toutes ces organisations ont en commun d’être très dynamiques. La plupart publient une revue et disposent d’un lieu. Ces espaces sont sociaux (accueil, rencontres, café, fêtes annuelles), culturels (exposés littéraires et exposition d’arts plastiques), et de loisirs. Et ce sont aussi des tremplins de discussions qui mènent régulièrement à des actions lesbiennes politiques, le plus souvent menées avec d’autres groupes lesbiens.
Impuls et Artemys assurent également, et à plein temps, des activités professionnelles adressées aux lesbiennes et aux femmes. Formations et encadrement de personnes pour la 1ère, librairie spécialisée et carterie d’art pour la 2ème.
Dans un 1er temps les groupes lesbiens seront constitués en associations de fait, à l’exception d’Artemys, qui se constituera juridiquement en asbl[5].
La langue parlée dans ces groupes est le néerlandais. Bruxelles et Halle, en partie en raison de leur localisation géographique, compteront un groupe bilingue (N,F), Halle Lesbienne, et un groupe plurilingue, Artemys (N,F,En).
La Flandre, suffisamment distribuée géographiquement en groupes lesbiens, par ailleurs représentatifs de la majorité des tendances lesbiennes existantes, n’aura ensuite plus de nouvelle vague de création de groupes lesbiens.
Quelques groupes seulement seront encore constitués après l’an 2000, plus restreints en taille et dans leurs objectifs (culturel ou de soutien logistique à un événement), notamment Fuchsia (2002- ; Bruxelles) et Folia (Gand).
II. Quelques points de similitude entre les mouvements lesbiens en Flandres et dans la partie francophone du pays :
1. Les tendances de pensée
Dans les mouvances lesbiennes au Nord et au Sud du pays, toutes les tendances existent, et recouvrent des concepts qui sont aux antipodes.
D’un côté s’exprime une analyse essentialiste où l’existence-même des « genres sexuels » (hommes, femmes) n’est pas fondamentalement remise en question. Le souci politique est alors d’arriver à la parité entre ces entités. L’élément principal qui lierait ces unités est également considéré comme naturel (biologique ) : l’hétérosexualité. L’homosexualité, « masculine » et « féminine », est couverte par le concept d’« orientation sexuelle », plus spécifiquement réservée à ce qui reste du domaine d’une particularité comportementale d’origine biologique. La notion de « droits égaux » rentre dans la même logique que la notion de parité, mais entre « hétérosexuels » et « homosexuels ».
A l’opposé, les analyses matérialistes lesbiennes radicales considèrent que les catégories humaines sont construites (sociales), ainsi que toutes les structures qui émanent de la société. L’hétérosexualité n’est pas un « choix sexuel » d’ordre naturel, mais une institution imposée – et donc contraignante – dont l’objectif est de figer les liens entre les catégories construites de genre (« homme » et « femme »). Tout un système hétérosocial (structures sociales, économiques et politiques) est élaboré en faveur de la « classe » dominante, celle des « hommes ».
L’objectif qui est dès lors visé ici est de faire disparaître toutes les catégories raciales, ainsi que les structures et les mécanismes coercitifs qui les confortent[6].
Entre ces pôles existent une multitude de pensées, dont celle de la mouvance queer qui veut brouiller les genres sexuels, sans toutefois vouloir les faire disparaître.
2. Les lesbiennes dérangent dans les mouvements féministe et homosexuel
Un questionnement fait foncièrement partie de l’histoire lesbienne depuis les années 70. Alors que sont particulièrement actives les lesbiennes dans tous les mouvements sociaux, quelle place les lesbiennes ont-elles dans ces mouvements, et en particulier dans les mouvements féministe et homosexuel ?
Le 5/11/1994, la fédération homosexuelle FWH[7] organise un congrès, et rassemble les protagonistes des 3 principales tendances du mouvement lesbien en Flandres autour du thème « Les lesbiennes, chez elles dans (quel)chaque mouvement ? »[8].
Les lesbiennes qui se disent appartenir en priorité au groupe social des « femmes » trouvent que logiquement leur place est au sein du mouvement féministe.
Les lesbiennes qui se sentent proches de ceux dont la « préférence va au même sexe », ont rejoint les structures du mouvement gay.
Mais le constat qu’elles font de leur, déjà longue, expérience dans ces deux mouvements est très critique. En 16 ans, depuis le précédent colloque du FWH en 1978 où ces mêmes questions avaient été posées, la situation n’a pas beaucoup évolué en faveur des lesbiennes.
Et leur conclusion « ne vaudrait-il pas mieux élaborer un mouvement lesbien autonome ? », rejoint celle des lesbiennes de la tendance radicale, qui depuis longtemps agissent en ce sens.
Parce que force leur est de constater que la situation reste peu réjouissante :
- a) Les lesbiennes se butent à un machisme prégnant au sein du mouvement homosexuel et à une lesbophobie larvée ou déclarée dans le mouvement féministe[9].
Elles sont considérées au sein de ces mouvements, et au sein de la société mainstream/straight, comme des chapitres, des annexes, le plus souvent encombrantes. - b) Les lesbiennes ne sont pas représentées dans les activités ou les écrits, ou pas reprises comme interlocutrices dans les panels (invisibilisation). Ou lorsqu’elles apparaissent, c’est épisodique et elles restent sous-représentées.
- c) Les lesbiennes font face à de l’hostilité, de l’ostracisme, ou sont exclues des groupes[10]. Dans le meilleur des cas, les organismes les refoulent vers les lieux dits spécifiques, les lieux lesbiens, qui sont les seuls à les accueillir de façon permanente.
- d) Les subventions ne sont pas retournées proportionnellement au nombre de lesbiennes qui sont dans ces mouvements, ou elles sont tout simplement détournées en la seule faveur des catégories dominantes du groupe.
La perplexité ou la colère sont grandes par rapport à ces mouvements dont elles ont été solidaires ou desquels elles pensaient faire partie, mais qui persistent à ignorer leurs propres réalités et difficultés.
Les lesbiennes revendiquent un juste retour de leur investissement substantiel dans ces groupements et réclament une place dans des organismes qu’elles ont largement contribué à créer et à développer.
Comment ces mouvements peuvent-ils faire recours à des techniques de dominance, alors qu’eux-mêmes sont victimes d’un sectarisme en vivant la situation aliénante de n’être qu’un chapitre du groupe dominant des « hommes blancs adultes hétérosexuels».
Pourquoi sont-ils à leur tour incapables d’accorder une place substantielle à tous leurs membres ? Pourquoi ne cherchent-ils pas à intégrer tous leurs membres dans la pensée et le fonctionnement quotidien des groupes ?
Les hétérosexuelles du mouvement féministe et les hommes du mouvement homosexuel se comportent comme s’ils appartenaient à des entités dominantes : le « genre des hommes », et l’« hétérosexualité », constructions desquelles les lesbiennes sont effectivement exclues.
Au nom du Général, elles/ils se posent comme les Normes à penser, les entités de référence, les Sujets.
Si les homos ou les hétéro-féministes, dans leur particularité estiment être représentatifs de l’universalité du mouvement auquel ils appartiennent, pourquoi une autre entité minoritaire ne le serait-elle pas ?
Les spécificités du contexte flamand aident à expliquer pourquoi ces questions seront débattues très régulièrement entre toutes les tendances du mouvement lesbien. Ce qui va leur permettre de partager le sens d’appartenir à une même communauté d’intérêts.
III. Différences avec la réalité du côté francophone du pays : un mouvement lesbien flamand plus uni et représentatif de toutes les tendances qui la composent, des groupes lesbiens plus autonomes, des événements de plus grande envergure
1. La Flandre compte des groupes lesbiens plus nombreux et diversifiés
Dans le pays fortement institutionnalisé qu’est la Belgique, les antennes de l’Etat sont très fortes. Au début des années 80, les subventions sont principalement distribuées dans la partie francophone du Pays. Les groupes lesbiens en Flandres devront donc assurer leurs propres arrières financiers.
Leur approche des réalités socio-politiques sera ainsi plus pragmatique, plus au fait des réalités économiques. Comme les groupes ont les mêmes difficultés à résoudre et passent par des expériences similaires, les lesbiennes qui les composent sont mieux en mesure d’apprécier leurs pairs, et de les respecter.
Quand les subventions se mettront en place, leur redistribution sera répartie de façon plus égalitaire par les autorités en Flandres, qu’en Wallonie ou à Bruxelles où c’est la politique du « tout ou rien » qui prévaut[11]. Celle-ci a plutôt pour conséquence d’y privilégier des structures énormes et uniques au détriment d’un plus grand nombre de groupes et d’une plus grande diversité de structures et de tendances.
En Flandre, comme les associations subventionnées sont plus petites ou de taille moyenne, elles ne vont pas se concurrencer et vont continuer à mieux représenter le tissu social, et à maintenir leur répartition géographique sur le territoire.
2. Toutes les tendances sont reconnues au sein du mouvement flamand.
Les plus radicales, même si elles dérangent les plus modérées, ne seront jamais exclues du mouvement lesbien. Des interventions seront demandées de façon récurrente sur le radicalisme ou le « séparatisme ».
3. Nombreuses coordinations et événements lesbiens collectifs
Grâce à leurs contacts réguliers, les groupes lesbiens prennent des initiatives communes, lancent des actions collectives, se rassemblent en coordinations (par rapport à des objectifs) ou en réseaux (mouvances politiques) qui coexistent ou se succèdent.
Tous les facteurs évoqués, spécifiques du Nord du pays, vont s’alimenter les uns les autres et permettre à un mouvement lesbien extrêmement dynamique de se constituer, et d’organiser un événement de grande envergure, notamment la Journée lesbienne annuelle et une coordination lesbienne de tous les groupes lesbiens existant en Flandres.
IV. Le renforcement de l’identité et de l’autonomie des groupes lesbiens en Flandre à travers ses actions collectives
Pendant de longues années, beaucoup de lesbiennes vont essayer de discuter avec leurs « alliées » et « alliés ».
Déjà en 1978, une coordination de plusieurs groupes lesbiens s’était créée, Cocolev (coördinatiecomité lesbische vrouwen[12] ; 1978 – 81). Son objectif était d’obtenir plus de visibilité pour les lesbiennes à la Vrouwendag, journée féministe flamande annuelle, par l’entremise d’une brochure qu’elles y distribuaient.
Moins de dix ans plus tard, Lesbies Doe Front se crée pour y exiger plus de place. Mais en raison de la faiblesse des concessions obtenues, elles décident peu de temps après, en 1986, de lancer la Lesbiennedag[13]. Cette grande journée de rencontre lesbienne annuelle, notamment pour tous les groupes lesbiens, va rester jusqu’à ce jour le plus grand événement lesbien en Belgique.
Fin 1984, parce que les groupes lesbiens prennent leur distance par rapport à la fédération homosexuelle en raison de sa « haine des femmes »[14], le LOL (Landelijk Overleg Lesbiennes ; fin 1984 – 85) apparaît pour mettre sur pieds un groupe de relais vers les lesbiennes et pour constituer l’ébauche d’un groupe de pression par rapport à la fédération. L’exclusion de la permanente lesbienne du FWH, peu de temps après, membre active au LOL, sonnera la fin du groupement.
Dans les années 90, le temps des simples discussions est révolu.
« Seules Artemys et Lesbies Doe Front ont pris leur distance consciemment et de façon conséquente par rapport aux mouvements féministes et homosexuels »14. Et à l’opposé, Lilev vivra une exception en essayant de réussir une cohabitation avec des groupes féministes et homosexuels[15]
Les autres groupes lesbiens, qui proviennent pour moitié de la mouvance homosexuelle et pour l’autre de la féministe14, et qui maintiennent avec ceux-ci des contacts en dents de scie, veulent affermir leur attitude à leur encontre. Ainsi c’est un lobby lesbien cette fois qui est dynamisé au sein du FWH (VrouwenRonde ; 1992 – ).
Des actions à grande échelle suivent et l’identité lesbienne des groupes s’affiche progressivement, et sans équivoque, vers le monde extérieur.
Artemys lance en 1992 une grande campagne lesbienne internationale : Lesbian Power, la force des lesbiennes ! Elle prône la diffusion des idées lesbiennes par tous les canaux possibles, en privilégiant les interlocutrices lesbiennes. Cette campagne (flyers, pages spéciales dans la revue diffusée nationalement et internationalement) aura un impact important au sein des mouvements lesbiens en Belgique et à l’étranger.
La même année, un livre est publié, Thuiskomen[16] de MajoVan Rijckeghem. Ce sera un best-seller lesbien en Flandres, mais qui fâche dans le mouvement lesbien parce que le rare activisme lesbien évoqué y est stéréotypé. Et à ce stade historique de leur mouvement beaucoup de lesbiennes ne l’acceptent plus. Le plaisir d’un livre publié localement fera qu’il restera porté par l’ensemble de la communauté lesbienne flamande.
Parce que la présence marquée des lesbiennes va déranger les femmes qui passent par Labyrint qui se profilait depuis ses 3 premières années d’existence comme organisation « de femmes », l’association décide en 1991 de « se consacrer aux lesbiennes »[17].
En 1993, Goudou s’affirme comme « Lesbiënnewerking », quand elle se retrouvera abruptement exclue des structures homos qui l’hébergeaient. Quant à Atthis, c’est en 1996 qu’elle se définit comme «organisatie voor lesbische vrouwen »[18].
La Lesbisch Netwerk (fin 1994 – 1997) fonde un réseau lesbien de groupes
et d’individues qui se réunit régulièrement et qui va aboutir en 1995 au lancement d’une revue collective annuelle de tous les groupes lesbiens qui le désirent, Gebundeld Zweet (1996 – 2001).
Elle va impulser aussi une action de mise en demeure politique adressée aux féministes et au monde extérieur lors de la Vrouwendag du 11/11/95 : “Draai niet rond de pot ! »[19].
Le message politique est clair, « Ne passez pas à côté des lesbiennes ! », ainsi que le leitmotiv des 2000 tracts distribués et adressés aux féministes, « Nous exigeons que vous réfléchissiez et choisissiez clairement la diversité. »
Et la presse couvre très positivement l’action « Seule la protestation des lesbiennes colore la Journée des femmes » ou « Les lesbiennes exigent leur place dans le mouvement des femmes »[20].
Mais le backlash des mouvements contestataires se poursuit, partout. En Belgique, les mouvements sont récupérés inexorablement par les mécanismes d’institutionnalisation9 mis en place par un ex-Etat-Providence qui dans les faits adopte de plus en plus une politique ultra-libérale. Celui-ci oblige les associations subventionnées à se « restructurer ». Les autorités flamandes sortent en avril 1995 un nouveau décret qui impose leur regroupement. Deux ans après, en juin 1997, Impuls publie un article dans lequel elle expose « la situation dramatique » dans laquelle elle est. L’Etat qui noie d’abord le terrain par de multiples décrets imposant de nombreux changements structurels aux organisations en droit de subvention, finit par fermer les robinets et ne pas verser les subventions promises. L’appel à l’aide financière d’Impuls ne permettra cependant plus de sauver son organisation, qui fermera.
Mais alors que des associations disparaissent, d’autres se maintiennent et se subventionnent d’une autre façon.
En 1996, l’appel du pied des « politiques » provient du Cabinet de la Ministre Flamande pour l’Egalité des Chances, Anne Van Asbroeck.
Le ministère veut créer des organes consultatifs[21], notamment pour les femmes et les homosexuel/le/s, qui leur permettrait de rendre des avis sur la situation de leurs groupes sociaux respectifs.
Et l’histoire se répète. Fin 1996, la Lesbotafel (1995 – 97), coordination de tous les groupes lesbiens flamands qui s’est constituée à cette occasion, apprend que les féministes ont fait savoir à la ministre, qu’elles ne désiraient pas s’asseoir à table avec les lesbiennes. Et malgré un courrier de protestation de la Lesbotafel au Cabinet, le désir des féministes sera exaucé.
Les réunions intensives pour la création d’un organe consultatif « homosexuel » auront une issue aussi désastreuse pour les lesbiennes. Parce que les homosexuels en constant conflit ne parviennent pas à créer une délégation, alors que grâce à leur passé de coordination les lesbiennes réussissent très vite à constituer la leur, le Cabinet décide de ne pas constituer l’organe consultatif « homosexuel » avec la délégation lesbienne. Et la décision est annoncée être sans appel.
Impossible d’imaginer le scénario inverse. C’est-à-dire un front uni d’homos, prétendument mixte, qui serait laissé sur le carreau, parce que les lesbiennes auraient été incapables de se coordonner et d’organiser une délégation pour les représenter…Le simple bon-sens patriarcal leur aurait permis d’exister de toute façon, sans les lesbiennes.
Ecœurée, Atthis fera savoir le 17 avril 1997 au FWH qu’elle démissionne de la fédération.
Ces questions feront débat en 1998 à la Lesbiennedag : quel est le rapport des lesbiennes au politique ? Les partis sont-ils des relais possibles ? Quant aux autorités, quels droits et quelles lois en attendre ?
A l’aube du XXIe siècle, les lesbiennes viennent donc à nouveau de se prendre 2 claques, lesbophobe et misogyne.
La Flandre voit la création de Maisons Roses et autres projets mixtes. Mais compte-tenu du passé très récent qu’elles viennent de vivre, la mixité obligatoire sans garde-fou pour les lesbiennes n’est-elle pas suicidaire ?
Des groupes lesbiens autonomes de Bruxelles et de la périphérie vont réussir à stimuler la coordination flamande[22] fondatrice de la Maison Arc-en-ciel de la capitale à dépasser le stade d’une mixité virtuelle, en soumettant comme condition à leur participation une représentation paritaire statutairement cadenassée des groupes lesbiens et homosexuels.
Quelles pistes choisir pour l’avenir ?
Conclure cet article ne peut se faire qu’en posant des questions.
S’intégrer sans rien changer va-t-il permettre de donner un jour une situation acceptable ? Peut-on réellement envisager un changement de société sans poser de questions ?
1. S’intégrer au système existant ou continuer à réinventer le monde ?
Faut-il s’intégrer dans la société et étendre des droits hétérosociaux aux catégories qui en étaient exclues, ou vaut-il mieux continuer à redéfinir de nouvelles structures sociales ?
Dans le mouvement lesbien, beaucoup de lesbiennes ne veulent pas ce que beaucoup d’hétéros ne veulent plus.
Pourquoi ne pas rejeter les valeurs normatives de l’ordre familial hétérosocial, telles que la notion de chef de famille, ou l’héritage financièrement privilégié accordé à des membres consanguins, non choisis ? N’est-il pas préférable de se battre pour de nouvelles valeurs ? Etablir une « famille » élective (que l’on a librement choisie), sans nécessairement de hiérarchie au sein des bénéficiaires, par exemple ?
Par rapport aux normes de genres, plutôt que rajouter des catégories limitatives sur les cartes d’identité, ou ailleurs, ne vaut-il pas mieux les retirer tout simplement ?
Penser autrement ne devrait pas être vu comme une menace, mais plutôt comme un défi et une opportunité d’enrichissement, du fait du questionnement et des nouvelles solutions que cela permet.
2. Une égalité des chances pour les minoritaires des mouvements féministe et gay ?
Ce ne sont pas que les institutions étatiques ou de la société civile qui doivent appliquer les mécanismes « d’égalité des chances », (en vogue notamment dans les milieux ministériels et les ONG européennes en cette 1ère décennie du XXIe siècle). C’est aussi aux mouvements gay et féministe, qui ne l’auraient encore commencé, d’opérer un grand travail d’équité politique au sein de leurs propres institutions.
Non seulement ces organismes doivent apprendre à appliquer une représentation équitable de tous les sous-groupes[23] qui la composent, mais elles doivent surtout leur apporter un support financier et logistique d’autant plus important (plus que proportionnel) que le groupe est minorisé pour pouvoir redresser à terme la balance sociale.
La place à leur réserver, doit être reconnue, entière et permanente, tant que subsistera le mécanisme de minorisation du groupe social concerné.
[1] Il n’est pas possible de reprendre exhaustivement ce qui a existé durant la quarantaine d’années qui sont couvertes, compte-tenu de la taille de cet article.
[2] Mouvements progressistes, féministes ou homosexuels.
[3] DE GENDT, L. Lesbiennegroepen in Vlaanderen tussen 1974 en 1994. Lesbiennes thuis in (w)elke beweging ? 15p. (Leuven : KUL, 1995)
[4] Mécanismes de récupération mis en place par un système social réactionnaire qui défend ses propres assises.
[5] Association Sans But Lucratif, devenant ainsi la 1ère asbl explicitement lesbienne de l’histoire belge.
[6] LENS, M. Perspective d’analyse de l’idéologie de la différence dans un système hétéropatriarcal, Bruxelles : ULB, 1981.
[7] Federatie Werkgroepen Homofilie
[8] « Lesbiennes, thuis in (w)elke beweging ? »
[9] LENS, M. La lesbophobie et le sexisme ordinaire au centre de la dérive politique des mouvements lesbiens et féministes contemporains. In CHETCUTI, N. et MICHARD, C (dir.). Lesbianisme et féminisme. Paris : L’Harmattan, 2003.
[10] Quelques exemples. Dans les années 80, à Bruxelles, Paarse Peperpot va avec difficulté augmenter progressivement son espace au sein de l’Homocentrum Brussel. Mais confrontée à de vaines négociations pour essayer de faire intégrer le mot “lesbienne” dans l’intitulé de l’association, elle se voit contrainte de partir.
En 1985, la fédération homosexuelle FWH licencie une permanente lesbienne. A Bruges, les lesbiennes qui constitueront Goudou sont utilisées par les homos pour repeupler et refinancer leurs lieux désertés. En 1993, quand les homos recommencent à affluer, elles seront expulsées.
[11] Il existe quelques exceptions en Flandres, comme en bibiothéconomie.
[12] « Comité de coordination des femmes lesbiennes »
[13] En 1987, elle sera trilingue et coorganisée e.a. avec Artemys et Lilev. De 95 à 98 Aksent Op Roze ou Atthis seconderont les dernières années d’organisation par la Lesbies Doe Front. La Lesbiennedag sera alors reprise par le FWH, devenu la Holebi- federatie (homosexuels, lesbiennes, bisexuel/les), qui obtiendra la subvention d’un budget de fonctionnement et d’une fonction à mi-temps pour l’encadrer. Ces dernières années un regroupement de lesbiennes, Folia, renforce l’organisation.
[14] DE GENDT, L. Exposé au Congrès du FWH du 5 novembre 1994 à Aalst.
[15] En 1999, Lilev fusionne avec la Vrouwencentrum « non sans difficultés » pour former l’asbl De Madam. Un an plus tard, elles vont cohabiter avec un groupe homosexuel dans Het Nieuwe Huis (une des maisons « roses » créées en Flandres). « Pour beaucoup de femmes hétérosexuelles, cette (nouvelle) étape fait déborder le vase. De Madam est perçue par beaucoup aujourd’hui uniquement comme un centre lesbien et elle devra particulièrement s’investir pour redévelopper un fonctionnement ‘habituel’ pour les femmes hétérosexuelles – accueil, avis et activités – afin de leur permettre d’y retrouver leur voie » (revue De Madam, éditorial du numéro d’automne 2009)
[16] Sous-titre traduit : “Scènes d’une existence lesbienne (co-édition Epo – A. Dekker, Berchem – Amsterdam).
[17] Site Web Labyrint septembre 2009
[18] Site Web Atthis, septembre 2009
[19] L’expression joue sur un jeu de mots qui sera très accrocheur. Elle est similaire au français « ne pas tourner autour du pot », mais pot renvoie également à un terme qu’affectionnent les lesbiennes pour se désigner, « goudou ».
[20] Het Nieuwsblad.
[21] Inspraakorgaan
[22] Holebi Overleg Brussel
[23] Courant de pensée, groupe social, différences physiques…